Des coteaux oubliés à l’AOC : la conquête viticole des Coteaux du Quercy

30/11/2025

Aux origines du vignoble quercinois : un passé prestigieux et méconnu

Le paysage viticole du Quercy est tissé de détails subtils, d’une histoire aussi vieille que celle de ses pierres calcaires. Dès le Moyen Âge, la culture de la vigne façonne le Quercy, dont le nom apparaît dès le Xe siècle parmi les zones produisant des vins exportés le long du Lot et de la Garonne. Aux XIVe et XVe siècles, le Quercy rayonne avec des vins embarqués vers Bordeaux ou plus loin encore, en Angleterre, via le port de Puy-l’Évêque. Les chroniqueurs rapportent déjà une distinction claire entre les vins du « haut Quercy » et ceux des bords du Lot, plus légers et fruités.

Mais cette prospérité est ralentie par le déclin démographique de la fin du Moyen Âge, puis durablement marquée par le gel exceptionnel de 1709 et par l’arrivée du phylloxéra à la fin du XIXe siècle. Sur les 40 000 hectares de vignes recensés dans le département du Lot en 1868, la majorité disparaît. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le vignoble n’occupe plus que quelques centaines d’hectares épars, souvent dédiés à une polyculture de subsistance.

Un renouveau à contre-courant : les décennies de la reconstruction

La redynamisation du vignoble débute après la guerre, dans le sillage des grèves des années 50 et du vaste mouvement de restructuration qui touche alors le Sud-Ouest. La première cave coopérative du Quercy voit le jour à Montpezat-de-Quercy en 1956. Des vignerons pionniers, refusant la disparition de leur identité viticole, commencent un travail patient de replantation, privilégiant des cépages traditionnels tels que le côt (malbec), le cabernet franc ou le gamay.

Ce renouveau s’appuie sur la conviction profonde que le terroir du Quercy possède une signature unique. L’aire viticole s’étend alors progressivement sur les coteaux calcaires surplombant la vallée de l’Aveyron, entre Caussade, Montpezat, et Montauban. Le climat y est de type océanique à influence méditerranéenne, modéré, sec mais rafraîchi par le Causse et protégé par les plateaux du Limargue. L’encépagement, réorganisé par des sélectionneurs locaux, vise l’équilibre entre rusticité et finesse, notamment avec le cabernet franc, cépage désormais emblématique de l’appellation.

La marche vers la qualification officielle : du VDQS à la consécration AOC

Dans les années 1960 à 1980, la demande pour la reconnaissance officielle des spécificités du Quercy prend de l’ampleur. L’aire d’appellation s’étend sur cinq communes en Tarn-et-Garonne (Montpezat-de-Quercy, Belfort-du-Quercy, Molières, Montalzat, et Mirabel), auxquelles s’ajoutent certaines communes du Lot, une exception géographique encore d’actualité.

En 1971, les Coteaux du Quercy obtiennent l’accès au statut de VDQS (Vin Délimité de Qualité Supérieure). Ce label, situé juste sous la catégorie AOC, matérialise le sérieux du travail mené sur la définition du terroir, le choix des cépages et la maîtrise des rendements. À cette époque, moins de 30 exploitants se partagent à peine 120 hectares de vignes. Il faudra attendre près de trois décennies et une succession de visites d’inspection, d’analyses de sols et de dégustations pour passer à l’étape suivante.

La demande de classement en AOC prend une dimension collective, portée par le Syndicat de défense des producteurs des Coteaux du Quercy. Les dossiers successifs insistent sur la typicité conférée par les sols argilo-calcaires, la dominance du cabernet franc (au minimum 40 % de l’assemblage), un rendement strictement plafonné à 55 hl/ha, et un caractère fruité-épicé avec une belle persistance aromatique. L’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité) relève la cohérence d’un vignoble structuré par des traditions bien ancrées mais aussi par la recherche de la régularité qualitative.

C’est en 2011, après des années de travail collectif, de pressions administratives et de dégustations officielles, que l’appellation Coteaux du Quercy est enfin reconnue en AOC, par le décret du 24 novembre (Journal officiel du 14 décembre 2011). Cette accession à l’Appellation d’Origine Contrôlée vient consacrer un demi-siècle d’efforts pour défendre un vin rouge singulier, à la fois marqué par la fraîcheur, la vivacité et des notes de fruits rouges épicés.

Le règlement d’appellation : exigences et originalités

Le cahier des charges de l’AOC Coteaux du Quercy distingue ce vignoble du Sud-Ouest par plusieurs points remarquables :

  • Assemblage obligatoire :
    • 40 à 60 % de cabernet franc
    • Jusqu’à 25 % de merlot
    • 15 à 30 % de tannat, malbec (côt) ou gamay
    • Interdiction des vins de cépage unique.
  • Rendement maximal réglementé : 55 hectolitres par hectare (notamment pour assurer fraîcheur et concentration).
  • Surface restreinte : L’AOC ne couvre que 38 communes en 2024, pour un peu moins de 300 hectares exploités (Source : INAO).
  • Élevage minimum : les vins doivent être élevés au moins jusqu’au 15 mars de l’année suivant la récolte et libérés à la commercialisation uniquement à partir du 1er avril.

Ce règlement exigeant impose un équilibre unique entre épices, fruits rouges, structure et rafraîchissement en bouche. La présence de gamay dans les assemblages ajoute une note originale, empruntée à l’histoire de la région, car ce cépage fut l’un des premiers à être (ré)implanté après la crise phylloxérique. Depuis l’accession à l’AOC, la production se situe autour de 8 500 hectolitres par an, soit près d’1,2 million de bouteilles commercialisées chaque année.

Combats, anecdotes et défis collectifs pour la reconnaissance

La route fut semée d’embûches, ponctuée d’anecdotes qui témoignent de la ténacité des vignerons du Quercy. Plusieurs dossiers furent retoqués dans les années 1990, motif évoqué : une trop grande hétérogénéité, tant des sols que des styles de vin. Une dégustation test menée en 1998 devant le jury de l’INAO faillit mettre un terme au rêve, certains échantillons présentant des acidités volatiles supérieures au seuil toléré.

Mais la solidarité forge l’histoire locale : les caves coopératives et vignerons indépendants mettent en commun leurs travaux, améliorent les pratiques culturales et œnologiques, organisent des dégustations internes régulières. En 2007, un laboratoire œnologique régional basé à Montauban s’implique dans la caractérisation des arômes typiques, renforçant la légitimité du projet.

Le soutien des collectivités locales a aussi été décisif, avec la mise en valeur des paysages, l’intégration du vignoble dans les circuits œnotouristiques et la création de la Route des vins du Quercy en 2009. Aujourd’hui, plus de 25 domaines œuvrent à la promotion de cette appellation longtemps confidentielle, dont la moitié exporte à l’étranger (source : Syndicat de l’AOC Coteaux du Quercy).

La reconnaissance AOC : un moteur pour l’identité et la notoriété du Quercy viticole

L’obtention de l’AOC marque plus qu’un point d’arrivée : elle ouvre le champ à de nouveaux défis pour les Coteaux du Quercy. L’appellation figure parmi les plus récentes du Sud-Ouest, mais aussi l’une des plus modestes en volume : moins de 300 hectares, épicentre autour de Montpezat-de-Quercy et de l’ouest du Lot, soit à peine 1,5 % de la superficie du vignoble voisin des Côtes du Frontonnais.

Pour les vignerons, la reconnaissance AOC est à la fois un engagement dans la qualité et la garantie d’une typicité protectrice face à la standardisation. Les innovations récentes portent sur l’agroécologie : développement de l’enherbement, retour de la biodiversité autour des vignes, et conversion progressive vers l’Agriculture Biologique (près de 20 % des surfaces en 2024, source INAO).

Le dynamisme de l’appellation s’exprime dans le renouvellement générationnel et la diversification de l’offre : cuvées parcellaires, expérimentations sur l’élevage en amphore, valorisation des circuits courts. Les Coteaux du Quercy ne cessent ainsi de conjuguer leur héritage avec un sens aigu de l’innovation, tout en défendant une identité vigoureusement locale.

Perspectives : un vignoble tourné vers l’avenir

Si l’histoire de la reconnaissance AOC des Coteaux du Quercy est avant tout celle d’une réhabilitation patiente de terroirs singuliers, elle est aussi le socle d’une ambition de rayonnement. La notoriété de l’appellation grandit, soutenue par des distinctions régulières au Concours Général Agricole (16 médailles entre 2014 et 2023), mais aussi par la fidélité d’une clientèle locale et l’intérêt croissant des amateurs soucieux d’originalité.

Le Quercy, porté par ses coteaux pierreux, son climat oscillant et la ténacité de ses vignerons, continue d’écrire son histoire. À travers sa reconnaissance AOC, il affirme avec éclat qu’exister sur la carte des grands vins du Sud-Ouest est d’abord une aventure humaine, attachée à la terre, à la mémoire, et à la promesse du verre partagé. Sources : INAO, Syndicat AOC Coteaux du Quercy, « Dictionnaire des Vins de France » (Larousse), Le Monde, Sud-Ouest.

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