Du terroir à la bouteille : la transformation durable des pratiques viticoles en Coteaux du Quercy

08/12/2025

Les Coteaux du Quercy face à l’enjeu écologique : où en est-on ?

L’AOC Coteaux du Quercy, reconnue depuis 2011, rassemble actuellement près d’une trentaine de vignerons et coopérateurs engagés. La zone, encore confidentielle face à ses voisines du Sud-Ouest, se distingue par un réel volontarisme environnemental. Selon les derniers chiffres de l’INAO (2023), plus de 56 % des exploitations du terroir sont certifiées ou en voie de certification en agriculture biologique (AB) ou Haute Valeur Environnementale (HVE). C’est presque 20 points de plus que la moyenne nationale en viticulture, qui stagne autour de 36 % (Agence Bio, rapport 2023).

  • AB, HVE, conversion vers la biodynamie : entre 2018 et 2023, le nombre de domaines ayant entamé une conversion bio a doublé sur l’aire AOC. Quelques pionniers s’essayent également à la certification Demeter.
  • Exigence du cahier des charges : la charte Coteaux du Quercy impose déjà des rendements contenus (60 hl/ha maximum), favorise la vendange manuelle et encadre l’usage du soufre et des additifs œnologiques.

Mais derrière la logique de label, c’est aussi un ensemble de pratiques de terrain, parfois plus discrètes, qui émerge.

Agroécologie : le retour du vivant au cœur de la vigne

Comptages de biodiversité et enherbement : redonner du souffle au sol

La viticulture intensive des décennies passées avait modifié les sols du Quercy : appauvrissement de la faune auxiliaire, érosion, tassement des sols argilo-calcaires… Face à ce diagnostic, plusieurs exploitations ont mis en place, dès 2016, des plans d’enherbement intégral ou semi-intégral, une démarche récompensée par une réduction de 30 % du recours aux désherbants chimiques en cinq ans (source : Interprofession des Vins du Sud-Ouest).

  • Choix de couverts végétaux diversifiés (ray-grass, luzerne, fétuque) pour limiter l’érosion.
  • Introduction de ruchers ou de bandes fleuries en bordure de parcelle : observation d’une augmentation de 50 % des pollinisateurs sauvages sur 3 campagnes.
  • Comptages réguliers de vers de terre pour évaluer la qualité biologique du sol (augmentation de 20 % depuis 2018 chez les exploitants en agroécologie selon la Chambre d’Agriculture 82).

L’objectif est double : restaurer la fertilité longue durée du terroir, mais aussi offrir un « réservoir » de biodiversité, véritable allié naturel dans la lutte contre les ravageurs.

Vitiforesterie et plantation d’arbres : freiner le vent, stocker le carbone

Les Coteaux du Quercy, territoire de causse et de plateaux, sont exposés aux vents du nord et aux phénomènes de sécheresse estivale. La vitiforesterie, qui consiste à introduire des haies ou des arbres dans la vigne, fait son retour :

  • Depuis 2020, une dizaine de domaines expérimentent la plantation de haies champêtres mêlant chênes, amandiers, noisetiers.
  • Impact : baisse mesurée de 3°C de la température ressentie en été à proximité des haies, baisse de la vitesse du vent, meilleure rétention de l’humidité du sol — ces microclimats deviennent vitaux pour le maintien de la vigne face au changement climatique (source : ADEME – Rapports Territoriaux).
  • Bénéfice supplémentaire : le stockage de carbone, avec des estimations allant jusqu’à 1,5 tonne équivalent CO2/ha/an grâce à ces plantations (source : INRAE).

Cette approche croisée de la biodiversité et du climat positionne le Quercy comme vignoble-pilote du renouvellement agroécologique régional.

Réduction des intrants et innovations techniques

Lutte raisonnée et alternatives au cuivre : la recherche de solutions durables

Face à la pression du mildiou et de l’oïdium, maladies très présentes dans le Sud-Ouest, la viticulture locale s’est longtemps appuyée sur la bouillie bordelaise (à base de cuivre). Mais les limites réglementaires (4 kg cuivre métal/ha/an maximum en bio) et environnementales poussent à l’innovation :

  • Utilisation de tisanes de plantes : prêle, ortie, ail pour stimuler les défenses de la vigne.
  • Application de kaolinite (argile) en pulvérisation pour protéger la feuille et limiter la pénétration des spores fongiques.
  • Expérimentations de pompage solaire et relevage électrique pour réduire l’empreinte énergétique des traitements.

Certains domaines des alentours de Montpezat, par exemple, notent une diminution de 25 % des passages de tracteur à l’année (réduction de l’impact carbone et du tassement du sol), grâce à une gestion plus fine des risques et à l’usage croissant des balises météorologiques connectées.

Zéro herbicide : un cap tenu

Si la moyenne française montre encore trop de dépendance au glyphosate, une enquête interne au Syndicat en 2023 chiffre que 87 % des domaines des Coteaux du Quercy sont désormais totalement désherbés mécaniquement ou manuellement, sans herbicide chimique.

  • Acquisition de lames interceps, brosses rotatives, et renouvellement du matériel, parfois grâce au soutien des subventions régionales et européennes.
  • Mise en avant du travail du sol en hiver pour maîtriser les adventices.
  • Partages d’expériences au sein de groupes DEPHY Ecophyto (réseaux nationaux d’expérimentation pour la réduction des phytosanitaires).

Ce virage « zéro phyto » est particulièrement visible sur les exploitations familiales et les nouveaux installés, souvent plus enclins à tester des techniques alternatives venues d’autres bassins viticoles (Val de Loire, Languedoc…).

Eau, climat et adaptation : l’épreuve sur le terrain

Gestion maîtrisée de l’irrigation et nouveaux cépages résistants

Avec une succession de sécheresses marquées (2017, 2019, 2022), l’enjeu de la ressource en eau devient central. Plusieurs axes émergent :

  • Optimisation de l’arrosage goutte-à-goutte : expérimenté sur 15 hectares témoins en 2023 avec réduction de 40 % des volumes d’eau par rapport à un système classique (Chambre d’Agriculture 82).
  • Semis de couverts adaptés : vesce, trèfle incarnat pour aider à retenir l’eau et réduire la concurrence herbacée.
  • Cepages résistants : certains domaines travaillent avec de petites surfaces de nouveaux cépages (Floreal, Vidoc, Voltis) sélectionnés pour leur tolérance naturelle à la sécheresse et aux maladies, pour préparer la transition future.

Repenser la date des vendanges et la gestion du stress hydrique

La précocité des vendanges est déjà une réalité : en 2022, le début des récoltes a été avancé autour du 20 août, contre mi-septembre vingt ans plus tôt (FranceAgriMer). Cela bouleverse l’organisation des équipes et impose une formation continue des vignerons pour ajuster les techniques d’effeuillage, d’ombrage et de palissage afin de préserver la fraîcheur aromatique et l’acidité caractéristique des vins du Quercy.

Société, transmission et consommation locale : un nouveau rapport au territoire

Renouvellement générationnel et partage des savoirs

L’âge moyen des vignerons dans l’aire Coteaux du Quercy a baissé pour passer sous la barre des 45 ans en 2022, alors que la moyenne française dépasse les 50 ans (Agreste, statistiques agricoles). Ce rajeunissement s’accompagne d’une diffusion de la culture agricole durable mais aussi d’initiatives collectives :

  • Groupes de formation sur l’analyse des sols (sessions organisées par la Chambre d’Agriculture, souvent avec la participation de techniciens INRAE).
  • Ateliers techniques sur la taille douce et la protection de la biodiversité.
  • Création du collectif « Jeunes Vignerons du Quercy », force de proposition pour des actions de communication sur la consommation locale et la gestion environnementale.

Essor du circuit court et valorisation des démarches durables

Aujourd’hui, plus de 60 % des bouteilles produites dans l’aire AOC sont vendues en direct (caveau, marchés locaux, foires), contre moins de 35 % il y a quinze ans. Ce recentrage sur le territoire s’accompagne d’une attente croissante des consommateurs : transparence sur la traçabilité, sensibilité aux modes de production, recherche du « goût du lieu ».

  • Développement de la mention « Vin méthode nature » sur certains micro-lots depuis 2021.
  • Mise en avant des démarches durables sur les contre-étiquettes et lors des visites œnotouristiques.
  • Plusieurs médailles nationales (Concours des Vins Bio, Challenge Millésime Bio) sont venues distinguer les Coteaux du Quercy pour leurs engagements qualitatifs et environnementaux—un moteur d’attractivité encore nouveau pour le territoire (Millésime Bio).

Un vignoble en mutation, entre racines et horizons nouveaux

Loin d’être un simple exercice de communication, la transformation durable des pratiques dans les Coteaux du Quercy repose sur des décisions structurantes et souvent collectives. Des choix qui pèsent économiquement, mais ouvrent aussi la voie à une viticulture plus résiliente et porteuse de sens. Qu’il s’agisse d’agroécologie, de labellisations environnementales ou d’innovations de terrain, ces expérimentations font des Coteaux du Quercy un observatoire vivant de l’évolution viticole du Sud-Ouest.

Les prochaines années diront si ces adaptations seront suffisantes face à l’intensification des aléas climatiques, mais le dynamisme local, l’émulation entre générations et la valorisation de l’identité territoriale laissent présager un avenir où le vin du Quercy continuera de raconter une histoire de terre et de fidélité au vivant.

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